Un matin ensoleillé, début août. A seulement quelques kilomètres de Saint-Nazaire, je traverse un des plus beaux et plus insolites paysages de toute la région, les marais salants de Guérande. Sous le ciel bleu en plein été, et en pleine récolte du sel, les marais brillent de l’éclat de leur or blanc. Partout en bordure des salines se dressent les mulons, les hauts tas de sel auxquels répondent les ladurées, ces petites pyramides entassées dans les bassins qui se reflètent dans l’eau. C’est un enchantement de tous les instants.



Ce paysage créé par l’homme depuis plus de 1000 ans représente une véritable alchimie entre l’océan, le soleil et le vent, révélée par le talent et le travail des paludiers. Pour en savoir plus et voir ce travail de plus près, j’ai rendez-vous avec Emilie Desmars, paludière. Issue d’une famille de Batz-sur-Mer qui cultivait le sel déjà en 1780, Emilie a repris le flambeau avec son père Dominique en 2017, une reconversion professionnelle que la jeune femme vit avec un bonheur évident.

De mai à septembre, selon la météo, la fille et le père sont pratiquement chaque matin sur le pont, ou plutôt les ponts, ces cheminements en argile qui bordent les œillets (les bassins où se forme le sel). Il faut récolter les précieux cristaux. Les tâches sont bien réparties. Maniant le las, outil impressionnant avec son manche long de 5 mètres, Dominique « prend » le sel. « En poussant ou tirant l’outil sur l’argile lisse du fond de l’œillet, mon père balaie l’eau pour faire décoller le gros sel du fond du bassin », explique Emilie.


Chaque petite vague ainsi créée dans l’œillet rapproche le sel des ladures, ces élargissements circulaires au milieu des ponts. Quant à Emilie, elle va « haler » le sel : avec un outil appelé boutoué, elle ramasse le sel pour l’extraire de l’œillet et l’entasser sur la ladure où il va égoutter. Les gestes sont précis, les mains changent en permanence de position sur le long manche pour avoir la meilleure prise et trouver l’angle le plus efficace pour bouger de gros paquets de sel. Des ladurées, ces petites pyramides de plusieurs dizaines de kilos de sel s’entassent bientôt en bordure de l’œillet. La prochaine étape sera l’acheminement du sel en brouette vers le mulon qui grandit sur le trémet, la surface plane à côté de la saline.
Ce travail, à la fois précis et physique, se répète en période de récolte dans toutes les salines en activité du bassin de Guérande et, quelques kilomètres plus loin, du bassin du Mès (l’ensemble représente entre 1 800 et 2 000 hectares, les chiffres divergent légèrement selon les sources). Mais ce n’est que la partie la plus visible du travail des quelques 300 paludiers dont une quarantaine de paludières. Pendant la saison de récolte, il est notamment crucial de surveiller et de réguler l’eau qui alimente les salines, et qui serpente dans les marais selon un système ancestral mais très sophistiqué.
Pour résumer : à chaque grande marée, l’eau de mer entre dans le marais par le traict, un bras de mer, et des canaux appelés étiers ; elle est stockée dans des réservoirs, les vasières, que se partagent plusieurs paludiers ; de là elle circule à travers différents bassins (cobiers, fards, adernes) jusqu’à arriver aux œillets, les bassins de cristallisation et de récolte. La déclivité tout au long de ce parcours est minimale mais suffisante pour que l’eau s’écoule par simple gravité. Avec l’action du soleil et du vent, l’eau commence à s’évaporer et en même temps sa concentration en sel augmente, passant de 25 g/litre (eau de mer à l’arrivée) à 280 g/litre dans les œillets. C’est le taux nécessaire pour que se forment les cristaux de sel. Pour que la cristallisation se fasse au bon moment et au bon endroit, les paludiers procèdent à de minutieux réglages en ouvrant ou en fermant des trappes.
Cette vue du marais depuis le clocher de Saint-Guénolé à Batz-sur-Mer donne un aperçu des différents cours d’eau et bassins qui forment l’incroyable mosaïque des marais salants.

Après la saison de récolte, le marais est noyé pour protéger les bassins pendant l’hiver. Puis, à partir de février, les paludiers commencent à vider l’eau, nettoyer les bassins, lisser les fonds en argile bleu, « ponter », c’est-à-dire refaire les ponts dans les œillets. Et puis ils guettent la météo, le soleil semble persister… peut-être pourra-t-on faire du sel dès le mois de mai ? C’était le cas cette année, comme le montre la photo ci-dessous : les premiers mulons se dressaient dans le marais dès la mi-mai. Mais rien n’est jamais gagné d’avance. Comme tous les métiers agricoles, la saliculture est tributaire des saisons et de la météo.

Je quitte Emilie et Dominique pour flâner encore un peu dans le marais. Ils sont loin d’avoir terminé le travail. Après avoir passé plusieurs heures le matin dans leur saline, de la récolte du gros sel jusqu’à son transport au mulon, ils seront de retour en fin d’après-midi pour récolter la fleur de sel. C’est là le véritable « or des marais », une fine dentelle blanche qui se dépose à la surface de l’eau. Là, pas question d’utiliser un las de 5 mètres ; c’est avec un outil appelé lousse que la fleur de sel sera prélevée très délicatement sur l’eau. Les paludiers disent d’ailleurs « cueillir la fleur de sel ». J’aime ce petit grain de sel de poésie…

Un grand merci à Emilie et Dominique Desmars de m’avoir si chaleureusement accueillie dans leur saline et accepté que je les photographie pendant le travail. Bonne nouvelle pour tous ceux qui s’intéressent aux marais salants : Emilie et Dominique proposent des visites guidées de leur saline, l’occasion de découvrir de l’intérieur le fonctionnement du marais, le métier de paludier et surtout une grande passion ! (Toutes les infos sur le site web Desmars & Salants).
D’autres paludiers vous accueillent également pour des visites guidées, ils sont recensés sur le site web de l’Office de tourisme intercommunal de La Baule Guérande. Autre possibilité : réservez des visites auprès du centre Terre de Sel à Pradel, au cœur du marais, ou à la Maison des Paludiers à Saillé, village paludier.
Vous pouvez bien sûr vous promener par vos propres moyens dans le marais, en dehors d’une visite guidée, mais pensez toujours à respecter l’environnement fragile et le travail : ne pas s’engager dans les chemins ni descendre dans les salines sans y être invité, ce sont des espaces privés. Et si vous voulez prendre des photos d’un paludier au travail, la moindre des politesse c’est de demander si la personne est d’accord.

Il y a encore beaucoup à raconter sur les marais salants, c’est pourquoi je vous propose une suite à cet article : Marais salants / 2 – Grains de sel.
Un très joli reportage pour un métier de tradition. Merci beaucoup pour le partage ! 😉
C.
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Merci beaucoup ! Bientôt il y aura une suite à lire 😉
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Fascinant ! De très jolies photos! J’ai toujours aimé les marais et j’apprécie tous les détails!❤️
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Un grand merci, Patricia 🙂 Il va vraiment falloir revenir par ici, on prendra le temps de se promener dans le marais…
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