L’estuaire de la Loire, ce n’est pas seulement un ruban bleu sur la carte qui va en s’élargissant de Nantes jusqu’à Saint-Nazaire, en décrivant une ample courbe comme un dernier élan avant l’océan. C’est un paysage entre fleuve et terre, avec des ports et des industries, des étiers, des marais et des canaux. Un paysage secret, souvent. Et un paysage révélé, grâce au parcours artistique Estuaire, véritable musée à ciel ouvert.
Depuis 2007, les trois éditions de cette biennale d’art contemporain ont laissé une collection permanente de plus de 30 œuvres le long des 60 km de l’estuaire, rive nord et rive sud. Je vous propose une découverte des huit œuvres à voir entre l’embouchure en aval et l’embranchement du canal de La Martinière en amont. Ne cherchez pas un ordre géographique ou alphabétique, c’est un classement très subjectif et vous aurez vite compris mes coups de coeur.
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L’oeuvre : Serpent d’Océan, de Huang Yong Ping
L’emplacement : rive sud, à Saint-Brevin-les-Pins, plage du Nez de Chien
En un mot : Géant
Et encore : Certes, il se présente sous la forme d’un squelette gigantesque, mais le Serpent de Huang Yong Ping nous paraît singulièrement vivant. Chaque mouvement de marée, le scintillement du soleil sur l’eau, tout semble lui donner vie, on jurerait voir des ondulations… Cherche-t-il à imiter la courbe du pont de Saint-Nazaire ? Se promener sous le squelette quand l’eau s’est retirée est une expérience étonnante. Je crois ne pas être la seule pour qui ce monstre marin, semblant surgir de quelque tréfonds océanique, est l’oeuvre préférée d’Estuaire. Et j’étais choquée et attristée d’apprendre le décès accidentel de l’artiste, tout récemment (le 19 octobre 2019).
L’oeuvre : Misconceivable, d’Eric Wurm
L’emplacement : rive sud, au Pellerin, sur l’écluse entre la Loire et le canal de La Martinière
En un mot : Ironique
Et encore : La première fois que j’ai vu le « Bateau mou », comme tout le monde appelle cette œuvre, j’ai tout simplement éclaté de rire. Il est irrésistible, ce voilier qui se tend, se courbe, fait des efforts j’allais dire surhumains pour s’échapper de son écluse et de son canal (de La Martinière). Tout cela sous l’oeil que je devine goguenard d’une petite flotille qui l’attend sur le fleuve… qui l’attend ou qui le nargue ? Un véritable tableau absurde. J’adore !
L’oeuvre : L’Observatoire, de Tadashi Kawamata
L’emplacement : rive nord, à Lavau-sur-Loire, entre l’étier de Lavau et le canal de la Taillée
En un mot : Perspective(s)
Et encore : A Lavau, la Loire n’est pas tout près. Suite à l’envasement et aux différents travaux dans le chenal et l’estuaire, une vaste zone marécageuse s’étend aujourd’hui entre le bourg, pourtant ancien port fluvial assez important, et la rive devenue inaccessible. L’Observatoire de Tadashi Kawamata offre un nouveau regard vers le fleuve, sur les prés inondables et les innombrables cours d’eau. Grâce à un cheminement de 800 m du village jusqu’à l’observatoire, un platelage en bois surélevé de 40 cm au-dessus du sol, on s’immerge petit à petit dans cette nature faite de prairies et de roselières… et de grand silence.
L’oeuvre : Le Jardin étoilé, de Kinya Maruyama
L’emplacement : rive sud, à Paimboeuf, quai Edmond Libert
En un mot : Rêve
Et encore : Drôle de jardin… c’est tout un petit village qui semble être sorti de terre ici. D’ailleurs il se confond presque avec cette terre car la quasi-totalité des matériaux ont été puisés sur place, sable et terre de la Loire, perches de châtaignier, roseaux. Dédale d’escaliers et de belvédères, ici un passage secret, là une percée avec vue sur l’estuaire : tout invite au rêve devant l’estuaire déjà large qui laisse deviner l’océan proche. C’est aussi un lieu de vie, un lieu de jeu pour les enfants ; d’ailleurs plusieurs écoles ont été associées au projet.
L’oeuvre : Villa Cheminée, de Tatzu Nishi
L’emplacement : rive nord, à Cordemais, entre Loire et centrale électrique
En deux mots : Bonne nuit
Et encore : La nuit doit être bonne là-haut, dans le pavillon tout sage, avec son jardinet, qui coiffe la tour blanc et rouge en bordure du fleuve. Et que dire du réveil, avec la Loire qui s’offre au regard, rien qu’à vous… Je l’avoue, je rêve d’y passer une nuit (si vous voulez réserver votre nuit, cliquez ici) ! D’ailleurs même sans y dormir, vous pouvez profiter de la vue, soit au ras de la Loire, grâce au cheminement et belvédère installés en contre-bas de la tour, soit en hauteur : le dimanche après-midi, l’accès à la terrasse est ouvert et libre. Le voisinage qui se découvre là est insolite : d’un côté la Loire et un bras secondaire qui aboutit dans le petit port de Cordemais, de l’autre une immense centrale électrique dont les tours rouge et blanc ont de toute évidence inspiré l’artiste, à la différence près que la plus haute cheminée de la centrale tutoie les 220 mètres… alors que la Villa Cheminée trône à « seulement »15 m de hauteur.
L’oeuvre : Jardin du Tiers Paysage, de Gilles Clément
L’emplacement : rive nord, port de Saint-Nazaire, toit de la base sous-marine
En un mot : Végétal
Et encore : Pensé comme une manière d’accueillir la diversité écologique de l’estuaire dans un environnement minéral, le Jardin de Gilles Clément adoucit la rugosité géométrique, guerrière, de l’ancienne base sous-marine. Elément le plus visible, la forêt de trembles a constitué la première des trois étapes de sa création, à partir de 2009. Mais il faut pousser plus loin la visite, déambuler sur le toit de la base en suivant les passerelles surélevées pour découvrir les lieux et interstices où plantes fleuries et herbacées ont poussé, soit apportées par le vent, soit plantées très précisément selon les souhaits du paysagiste-philosophe qu’est Gilles Clément.
L’oeuvre : Suite de Triangles, Saint-Nazaire 2007, de Felice Varini
L’emplacement : rive nord, port de Saint-Nazaire, à voir depuis la terrasse panoramique de l’écluse fortifiée
En un mot : Géométrique
Et encore : Une œuvre qui se fait et se défait sous nos yeux, qui joue avec notre perception de l’espace et des formes : l’anamorphose de Felice Varini invite à un jeu et une observation permanents (je lui ai déjà consacré un article, à lire ici : V comme… Varini).
L’oeuvre : Le pied, le pull et le système digestif, de Daniel Dewar et Grégory Gicquel
L’emplacement : rive nord, avant-port de Saint-Nazaire, en prolongement de la place du Commando
En un mot : Fragments
Et encore : Depuis janvier 2021, trois gigantesques sculptures sont campées dans un paysage ni tout à fait port, ni vraiment plage, toujours entre deux eaux. S’élevant jusqu’à 7 m de hauteur, elles sont constituées de blocs de béton sculpté, aux joints très visibles. Fragments d’un corps ? D’une civilisation ? Memento mori surdimensionné ? J’avoue que je suis assez intriguée par le pied, posé presque négligemment sur le sable, et par le pull, à la fois très banal avec ses torsades et presque inquiétant par l’absence d’un corps. Les boursouflures et entrelacs organiques du « système digestif » en revanche me laissent plus perplexe…
Ecoutez les artistes présenter leur oeuvre dans cette vidéo :
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Toutes ces œuvres qui vous amènent vers des lieux atypiques ou des sites remarquables de l’estuaire de la Loire, sont accessibles toute l’année, en voiture, à vélo, à pied ; d’avril à octobre, les croisières Estuaire du Voyage à Nantes vous offrent une vue privilégiée depuis l’eau.
Sur le site spécifique du Voyage à Nantes vous trouvez aussi les fiches détaillées des œuvres que j’ai citées, et de l’ensemble des installations du parcours.
Je ne saurais dire à quelle oeuvre va ma préférence, par contre, il est clair que je reste perplexe face à celle qui vient de s’installer à Saint-Nazaire ^^’
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😉
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