E comme… écluse sud

Essayez d’imaginer : des travaux gigantesques qui coupent une partie de la ville en deux, qui nécessitent expropriations et démolitions de maisons, et qui vont durer… 11 ans ! C’est pourtant ce qui s’est passé à Saint-Nazaire, entre 1896 et 1907, pour la construction de l’écluse sud, qui allait être la nouvelle entrée du port. Ah oui, avant le premier coup de pioche il y avait aussi cinq années de discussions pour déterminer le bon projet et le « qui paie quoi », entre la Chambre de commerce, la Ville, le Département, l’État…

Pourquoi de tels travaux pharaoniques ? Tout simplement parce que le port devenait de plus en plus difficilement accessible. A la fin du 19e siècle, soit moins de 40 ans après la construction du premier bassin portuaire, il n’y avait toujours qu’une seule entrée, l’entrée est, perpendiculaire au bassin. Les bateaux devaient donc « éviter » (pivoter) pour pouvoir se mettre le long d’un quai ce qui ne posait pas trop de difficultés aux petites unités. Mais pour les paquebots desservant les lignes de l’Amérique Centrale, dont la longueur égalait ou dépassait désormais la largeur du bassin, les manoeuvres étaient très compliquées, et n’étaient possibles que grâce à la présence d’une darse, un élargissement du port aménagé face à l’écluse.

11 ans de travaux, 3 jours d’inauguration

Par ailleurs, les chantiers navals planchaient sur les futures commandes de paquebots, aux dimensions de plus en plus impressionnantes. L’entrée est ne serait définitivement plus à la hauteur, une nouvelle entrée, plus grande et située dans l’axe du bassin, s’imposait. Les travaux pouvaient commencer après parution dans le Journal Officiel du 24 février 1896 de la loi déclarant d’utilité publique l’ouverture de la nouvelle entrée du port de Saint-Nazaire.

Passons sur les travaux, extrêmement difficiles et complexes, accompagnés de la réalisation d’un avant-port (comme je l’ai expliqué dans mon article sur la Jetée ouest), et arrêtons-nous un instant à l’inauguration de la nouvelle entrée. Elle fut ouverte officiellement le 23 septembre 1907, mais à cette époque, une seule journée ne suffisait pas pour fêter un événement si important. Pendant trois jours se succédèrent défilés et bals, banquets et discours (comme on le verra également en 1926 pour l’inauguration du Monument américain).

Deux ponts pour l’écluse

Deux ponts permettent de franchir l’écluse. Le pont tournant à l’aval, le petit pont métallique bleu, face à la capitainerie, est le pont d’origine.

Quant au pont amont, l’ancien pont (roulant) a été remplacé par les Allemands en 1941 par un pont levant. C’est très impressionnant de voir tout un tronçon de route se dresser à la verticale pour laisser passer les navires. Malheureusement, au moment où j’écris, début septembre 2020, le pont levant est hors service (c’est-à-dire qu’il reste bloqué en position ouverte : les navires peuvent passer, mais pas les voitures ou les piétons) depuis un mois et demi, après avoir été heurté par un cargo, et le restera à priori encore pour quelques mois. Le Vieux Saint-Nazaire, nommé aujourd’hui le Petit Maroc, est de fait une île, avec pour le moment seulement deux accès distants de plusieurs kilomètres, ce qui entraîne détours et difficultés de toutes sortes.

Spectacles (quasi) quotidiens

L’écluse fait 211 m de long et 30 m de large, son tirant d’eau est de 8,50 m. Elle est surtout utilisée par des cargos qui rentrent dans le port ; les très grands navires, comme les méthaniers, porte-conteneurs ou pétroliers, accostent aux terminaux aménagés depuis les années 1970 à l’extérieur du port, dans l’estuaire de la Loire. Les passages des navires constituent toujours un spectacle, volontiers commenté par ceux qui connaissent bien l’univers maritime et qui aiment assister aux entrées et sorties (laissez traîner vos oreilles, il y a souvent des choses à apprendre !).

… ou plus rares

Depuis quelques années, Saint-Nazaire se positionne également comme port d’escale pour les paquebots de croisière. Là aussi, les plus grandes unités ne peuvent pas rentrer dans le port, ils s’amarrent pour la journée au TGO (Terminal de Grand Ouest) situé à Montoir-de-Bretagne. Le spectacle d’un paquebot rentrant dans le port est rare et d’autant plus apprécié. Le petit paquebot britannique Saga Pearl 2 (longueur 164 m, largeur 23 m) est venu s’amarrer deux ou trois fois dans les bassins. Ce diaporama montre l’arrivée par l’écluse sud le 24 avril 2016, une arrivée très photogénique (malgré le ciel bien sombre).

En août 2018, lors d’une autre escale de ce paquebot, j’ai pris ces photos au moment de son départ. Vu ainsi depuis le toit de la base sous-marine, le navire semble presque trop grand pour s’engager dans l’écluse !

Le plus beau bateau à être passé ici reste pour moi l’Hermione, la célèbre réplique d’un navire de guerre de la fin du 18e siècle. Le trois-mats carré, qui a notamment conduit le marquis de La Fayette en Amérique en 1780 pour soutenir la lutte pour l’indépendance, a été patiemment reconstruit dans l’ancien arsenal de Rochefort, selon les techniques traditionnelles. Son arrivée à Saint-Nazaire était un moment très fort dans le cadre de la manifestation Débords de Loire en mai 2019.

Autour de l’écluse sud se trouvent des bâtiments très intéressants, dont l’Usine élévatoire (1911) à un bout et le Building (années 1950) à l’autre. De la matière pour un futur article peut-être ?


Pour un peu, il fallait recreuser… Il faut toujours lire le journal ! Pourquoi ? Par exemple pour éviter de construire une écluse trop petite. Le projet initial prévoyait une largeur de 25 mètres. L’historienne Marthe Barbance explique pourquoi on est passé à 28 mètres : « En février 1900, l’ingénieur en chef du port de Saint-Nazaire, prenant connaissance au Journal Officiel du programme de la nouvelle flotte à mettre en construction, constate qu’il s’agissait de cuirassés de 24,25 m de largeur. Ainsi la largeur adoptée pour l’écluse se trouvait, avant même que l’ouvrage ne fut terminée, presque insuffisante. Il convenait de l’augmenter pendant qu’il en était encore temps ». Ouf, on l’a échappé belle ! Mais bien sûr, « c’étaient de nouvelles dépenses en perspective… ». (Marthe Barbance, Saint-Nazaire, le port, la ville, le travail, Crépin-Leblond Editeur, 1948).



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